Monsieur Biver, l’homme du renouveau de la marque Hublot, nous a fait l’honneur de répondre aux questions du Blog Luxe, prouvant une fois de plus sa disponibilité et son aimabilité. Depuis 2004, il dirige Hublot, manufacture horlogère dans laquelle il a donné corps au concept de fusion qui lui tient à coeur. Cet interview a été l’occasion de questionner Monsieur Jean-Claude Biver sur ses goûts en matière d’horlogerie, de luxe et de vin…
Au nom du Blog Luxe et des lecteurs, je remercie sincèrement et chaleureusement Jean-Claude BIVER de nous avoir consacré un peu de son temps.
Le Blog Luxe: Quel a été votre parcours avant de prendre la direction de la manufacture Hublot ?
Jean-Claude Biver: De 1975 à 1979, je fus responsable de vente Europe chez Audemars Piguet, puis jusqu’en 1981, responsable Produit Or chez Omega. En 1981, j’ai commencé mon aventure Blancpain avec l’aide de Jacques Piguet. J’en ai été le co-propriétaire et CEO jusqu’à la vente de la société à Swatch Group. En 1992, je rejoints donc la Direction Générale de Swatch Group avec diverses fonctions (entre autre marketing Omega, CEO Blancpain, responsable Japon pour le Groupe, etc). Et enfin, depuis 2004, je suis actionnaire minoritaire de Hublot dont je suis Administrateur Délégué.
Avant de relancer la marque Hublot, vous dirigiez la Manufacture Blancpain. Qu’avez-vous apporté à cette marque ?
Nous avons acheté Blancpain ensemble avec Jacques Piguet en 1981 et avons redéveloppé cette marque après qu’elle fut absente du marché pendant près de 25 ans. Notre prix d’achat reflète bien son manque d’activité, puisque le prix d’achat était d’à peine 20’000chf. Nous n’avons pu acheter que le nom, puisqu’il n’y avait plus de fabrique, mobilier, horloger, et de fait, encore moins de collection!
Nous avons donc totalement relancé la marque en la positionnant comme l’une des références ou la référence de l’Art Horloger Traditionnel. Avec un concept extrêmement pointu, refusant de faire autre chose que les 6 mouvements traditionnels et refusant même de partir dans des variations de forme de boîte hormis la forme ronde. Car c’est la forme ronde qui est la référence de l’Art Horloger Traditionnel. C’est aussi la forme que dessinent les enfants lorsqu’on leur demande de dessiner une montre. Evidemment ce concept très pur de l’Art Horloger Traditionnel ne fut rendu possible que grâce à l’apport déterminant et exceptionnel de la manufacture Fréderic Piguet avec laquelle nous étions liés.
Nous avons donc conquis pour Blancpain une place de référence de l’Art Horloger Traditionnel et nous avons aussi apporter à l’ensemble du métier le retour du savoir faire artisanal de la culture et du patrimoine horloger helvétique (à une époque ou chacun partait résolument dans le quartz, créant ainsi une des plus grandes crises horlogère qu’aura vécue l’industrie horlogère suisse).
En 2004, vous avez pris la tête de Hublot. Quel était votre projet pour cette maison ?
Le projet que j’avais pour Hublot était double. C’était à la fois un projet pour moi et un projet (le même) pour Hublot. En effet après près de 25 d’activités dans l’Art Horloger Traditionnel j’avais envie de faire évoluer celui-ci en le mariant avec certaines visions du 21ème siècle. Et j’avais personnellement aussi envie de retrouver l’ambiance et l’esprit de la start-up. Pour Hublot il s’agissait de quitter l’idée exclusive du caoutchouc pour en faire un concept global : c’est-à -dire la « fusion ».
Justement, pouvez-vous nous expliquer en quoi consiste le concept de fusion qui vous est cher ?
J’aime marier les opposés, le chaud et le froid, le blanc et le noir, le masculin et le féminin, etc. Donc faire en quelque sorte la « fusion » des oppositions. Dès lors on apporte une certaine tension (source de séduction et d’identité) à l’ensemble. Une tension née de la « fusion » des matières par exemple (caoutchouc et or rouge, ou or rouge et céramique, etc), mais aussi plus généralement la « fusion » de la Tradition (de 400 ans d’histoire) et des « Visions » (le futur infini). Or cette « fusion » n’avais jamais été définie dans l’horlogerie et encore moins choisie comme concept existentiel. Alors l’idée de le définir et de la choisir comme message (ou concept existentiel) de la marque Hublot ne pouvait que déboucher sur l’ouverture d’une nouvelle manière d’interpréter la Tradition.
D’où le nom de Big Bang à la montre qui devait le mieux symboliser cette nouvelle création basée sur la destruction des équilibres existant. Big Bang ouvre une nouvelle ère de l’horlogerie, et les montres ne seront plus jamais les mêmes après Big Bang. La montre porte donc parfaitement son nom. Car le nom indique déjà le rôle ou le message du produit et de la marque. Tout comme la marque Hublot porte très bien son nom, puisque les produits sont tous inspirés de l’esthétique du hublot des bateaux.
Quels sont les modèles Hublot pour lesquels vous êtes le plus fier ?
Ma plus grande fierté est la Big Bang All Black, car elle est le symbole puissant et remarquable de « l’invisible visibilité ». Une idée qui m’est chère et qui m’a toujours guidé depuis mon passage chez Omega en 1980. J’écrivais à l’époque que l’ensemble (la montre) n’est que la maîtrise individuelle et interdépendante de chaque composant (aussi petit soit-il). Mais que le consommateur et amateur final ne va pas voir. Il ne verra que l’ensemble. Ici avec la All Black on retrouve quelque peut cette idée, mais aussi l’idée que seul le porteur de la montre pourra lire l’heure. Et la All Black met pour la première fois au grand jour le fait que l’on ne s’achète plus (et on ne le fera probablement plus jamais) une montre haut de gamme pour lire l’heure seulement. Cette lecture est même secondaire, et attient avec la Bigger Bang All Black la parfaite illustration!
Avez-vous des projets de montres dont vous aimeriez nous faire part ?
Non, pas vraiment, car je préfère réserver à Hublot ou pour moi, mes idées du futur. Si ce n’est que je rêverais d’une montre avec une réserve de marche éternelle (un peu comme la pendule Atmos, mais en montre de poignet).
Les salon de Bâle et de Genève se sont achevés il y a près d’un mois. Quelles marques vous ont impressionné ? Avez-vous remarqué des modèles en particuliers ?
Je n’ai pas eu le temps de visiter et de regarder les vitrines des autres marques. Mais je reste amateur de Patek Philippe, Richard Mille, Blancpain, Hautlence
Combien de montres possédez-vous ?
Je possède beaucoup de Blancpain, mais aussi Patek Philippe, Audemars Piguet, Jaeger Le Coultre, Breguet, Rolex, Omega.
Vous êtes un des plus grands collectionneurs de Château Yquem. Comment cette passion pour ce vin prestigieux vous est-elle venue ?
Mon grand-père m’a enseigné le gôut du vin, la mémoire du goût, le respect du vin, le symbole du vin. Il était donc presque normal qu’après une telle initiation, j’ai voulu perpétuer sa mémoire en reprenant moi le flambeau du symbole du vin. En effet il était habituel dans notre famille (et ce l’est toujours) d’avoir dans sa cave tous les millésimes anciens afin d’avoir toujours le millésime de l’année de naissance de n’importe quel être cher. Alors si on veut des vins de garde qui dépassent les cents ans, il n’y a pas de choix, il n’y a qu’Yquem. Et peut venir chez moi n’importe qui né après 1811…, j’aurais une bouteille d’Yquem de son année de naissance !
Mis à part l’horlogerie et le Château Yquem, avez-vous d’autres goûts de luxe ou loisirs?
Le goût du terroire,du vrai, de l’autenthique, de la campagne, de mes vaches, de ma basse cour, de mon fromage, et au dessus de tout je suis un passionné de l’amour. L’amour est ma religion. C’est l’amour de la terre, l’amour du prochain qui me guide dans ma vie. Et mon plus grand luxe c’est de pouvoir me comporter ainsi !
Vous êtes un des rares, sinon le seul, directeur d’une manufacture horlogère à communiquer autant sur Internet. On vous voit d’ailleurs souvent sur Forum à Montres. Pourquoi vos concurrents n’adoptent-ils pas la même politique ?
Parce qu’ils ne comprennent pas leur métier comme moi je comprends le mien. Parce qu’il n’y a que peu de vrais passionnés comme moi (il y en a, mais peu). Parce que l’horlogerie comme le luxe d’ailleurs est encore un monde secret et fermé. Et que les heureux, comme moi, qui ont pu faire de leur passion leur métier sont très rare. Et aussi parce que je respecte les collectionneurs et amateurs, et leur dois donc le respect, un respect que j’exprime par du temps que je leur consacre afin de partager leur passion avec moi.
Sur la TSR remarquable interview de Jean-Claude Biver par l’excellent Darius Rochebin, c’est plein de punch et piquant, à voir, très intéressant!