L’euro fort pourrait pousser les groupes de luxe vers la délocalisation

ChinamaovuittoncoverIl n’y a pas que EADS et Airbus que gêne l’euro fort.

Si certains pays pétroliers, membres de l’Opep semblent ne pas voir d’un bon oeil la flambée de l’euro par rapport au dollar, les groupes de luxe européens craigent désormais que leurs perspectives de croissance ne soient freinées par un tel phénomène.

Certains experts estiment même que les maisons pourraient avoir recours à la délocalisation.

Les experts du secteur estiment que la conjoncture économique mondiale devrait se dégrader en 2008, pronosticant également que l’euro puisse atteindre 1,50 dollar. Début novembre, la devise européenne a atteint un nouveau record, à 1,4737 dollar. “Dans ces conditions, ces groupes vont devoir prendre des décisions rapides pour les années à venir« , juge Frank Benedic, analyste du cabinet Precepta. « Sinon, ils devront rogner leurs marges« .

Le gérant du groupe de luxe français Hermès, Patrick Thomas, a plaidé jeudi pour la mise en place par les autorités européennes de « mesures » face à la flambée de l’euro, qui pèse sur le secteur, tout en assurant que son groupe n’envisageait pas de délocalisation. L’impact de l’euro fort « sur le résultat d’Hermès de l’année est considérable« , a-t-il ainsi déclaré sur la radio BFM. « Il n’y a pas de doute que cette évolution de l’euro, si elle continuait, finirait par avoir un impact sur le développement de notre secteur de l’économie« , a-t-il ajouté, rappelant que cela était déjà le cas au Japon depuis deux ans, à cause de la faiblesse du yen.

Pour autant, la possibilité de délocaliser la production est une « question que nous ne nous sommes pas posés car notre métier est fondé sur le désir de l’objet, et le désir de l’objet est lui-même basé sur les savoir-faire de notre maison« . « Et j’espère bien que nous n’aurons pas à nous la poser car il en va de l’avenir de la maison », a-t-il conclu.

Essentiellement français et italiens, les maroquiniers, joaillers, parfumeurs et couturiers haut de gamme réalisent la quasi-totalité de leur production dans la zone euro. Près de 60% sont ensuite exportés et vendus aux quatre coins du monde, en particulier aux Etats-Unis et au Japon, les deux principaux marchés. Cette organisation pénalise doublement ces maisons de luxe : sur les marchés étrangers, où leurs produits sont relativement plus chers, et sur les marchés européens, où le pouvoir d’achat des touristes américains et japonais, friands d’articles de luxe « made in France » ou « in Italy », est érodé.

L’euro fort engloutit déjà une bonne partie de la croissance du marché du luxe. Le cabinet américain Bain estime que celui-ci devrait avoir progressé de 7%-9% en 2007, mais que, sans l’envol de l’euro, il aurait crû de 10%-12%.

Pour contrer la hausse de l’euro, les groupes de luxe ont également augmenté massivement leurs prix. « De 30-40% sur la période 2005-2006 », indique Elisabeth Ponsolle des Portes, déléguée générale du Comité Colbert, représentant 70 maisons françaises. Mais cette politique a ses limites: « quand on augmente les prix, on perd un certain nombre de clients« , reconnaît Patrick Thomas, le gérant d’Hermès. « Nous sommes aujourd’hui à un moment critique où on ne peut aller au-delà car autrement, les prix deviendraient dissuasifs« , alerte Mme Ponsolle des Portes.

La réduction des dépenses marketing et d’investissements s’avérant dangereuse à long terme, les groupes tentent désormais de diminuer les coûts de fabrication, plus facile à ajuster. S’il y a cinq ans, le concept même des délocalisations était vue comme une hérésie qui risquait de tuer les marques, et de ternir leur image, aujourd’hui, les groupes jouent un jeu différent. Certains allant jusqu’à affirmer qu’ avec la “démocratisation” du luxe, la clientèle est différente, moins sensible au lieu de fabrication. Ce qui reste à prouver.

Si la tentation de recourir à la main-d’oeuvre indienne ou chinoise est grande, y céder restait encore impensable pour certains il y a moins d’un an. « Le made in France fait partie intégrante du mythe et de ce que l’on vend. S’en écarter pourrait être très dangereux, tant le symbole est fort à l’étranger », soulignait en décembre 2006 Yves Carcelle, le PDG de Vuitton.

La plupart d’entre elles gardent un oeil vigilant sur leurs artisans, n’hésitant pas à les racheter pour mieux assurer leur pérennité. C’est le cas de Chanel, qui a déjà pris sous son aile sept de ses plus prestigieux fournisseurs, ou d’Hermès, qui a absorbé plusieurs manufactures ces quinze dernières années. Ces deux marques ont aussi beaucoup investi dans la formation interne, tout en s’associant avec des lycées professionnels afin de détecter de jeunes talents. Un pari sur l’avenir qu’elles rentabilisent à plus court terme en renforçant leur communication sur ce thème.

Mais le processus est d’ores et déjà enclenché. Armani fabrique ses jeans en Europe de l’Est, 5% de la production d’Hugo Boss est réalisée en Chine, et Louis Vuitton (groupe LVMH) va ouvrir un atelier de piquage de semelles en Inde.

Le PDG de Gucci, Robert Polet, affirme même pour sa part « ne pas avoir de dogme en la matière ». Dans un entretien au quotidien Les Echos en mai, il excluait de fabriquer hors d’Italie les produits Gucci et Bottega Veneta, très haut de gamme, mais se disait « plus libre » pour des marques comme Stella McCartney, « liée ni à la France ni à l’Italie ».

Sources : AFP, L’Expansion

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